Les enjeux pour le droit de vote des détenus

Rappel du droit positif :

« Ce sont des citoyens dont la liberté est réduite, mais pas moins », c’est par ces mots que le Président de la République actuel a plaidé la cause d’être favorable au droit de vote des détenus français pour les élections européennes de 2019. 

La loi pénitentiaire de 2009 consacre ce principe, avec une inscription sur les listes électorales, il est possible d’être domicilié à la prison pour voter dans la commune. « Une réforme du code pénal de 1994 met fin à la privation systématique des droits civiques des personnes condamnées. (…) Dans les cas de délit, celle-ci ne peut excéder cinq ans, et peut s’étendre à dix ans en cas de crime. En pratique cependant, la déchéance des droits civiques n’est prononcée que très rarement », rappelle le ministère de la Justice. Il faut nuancer ce propos par le fait que les individus placés en détention provisoire ne sont pas privés de leur droit de vote puisqu’elles n’ont encore reçu aucune peine. 

Ce droit de vote des détenus, considéré récemment comme un droit fondamental est apparu avec la réforme du Code pénal de 1994, loi stipulant que les détenus français conservent leur droit sauf en cas de « déchéance des droits civiques ». Il s’agit ici de comprendre qu’avant cette réforme, le droit de vote d’une personne condamnée était automatiquement déchu. Depuis cette réforme, cette peine a été déclassée en peine complémentaire, qui doit donc être prononcée par le juge suite à une peine principale prononcée, et en motiver les motifs. Cette nouvelle procédure crée donc un nouveau droit, le droit de vote des détenus. Afin d’en comprendre les enjeux, nous allons d’abord voire comment celui-ci se manifeste. 

Trois possibilités s’offrent aux détenus (à différencier de la détention provisoire) : 

– La permission de sortir : « Le détenu peut obtenir auprès du juge d’application des peines une permission de sortie d’une journée pour aller voter, uniquement pour les situations suivantes :
Dans le cas où il a été condamné à une peine de prison inférieure ou égale à une durée de 5 années Dans le cas où il a exécuté la moitié de sa peine, si celle-ci était supérieure à la durée de 5 années. »[1]

– La procuration : Celle-ci est envisagée lorsque le prévenu n’a pas fait de demande de permission de sortie ou que celle-ci a été refusée (ce qui arrive souvent pour faute de moyens). Il faut, que le prévenu nomme un mandataire qui est lui-même inscrit sur une liste électorale, peu importe sa commune (avant la réforme[2], il fallait que le détenu connaisse une personne de confiance dans la même commune où se trouve le pénitencier). 

Lors de la dernière élection présidentielle de 2017, le taux de participation était seulement de 2 % chez les détenus. Ce qui est un chiffre significativement bas, pour cause de démarches complexes en pratique.  

– La correspondance : Il s’agit ici d’une nouvelle mesure prise par le Président de la République, Emmanuel Macron, à l’occasion des élections européennes de mai 2019. Ainsi, le vote est organisé au sein de l’établissement pénitentiaire, dirigé par le directeur pénitentiaire, et doit être anticipé au plus tard le samedi précédant l’élection. C’est pour cette raison que ce mode de vote est exclu pour les élections municipales, car les deux tours sont trop proches pour pouvoir organiser le vote par correspondance entre les deux tours. Des documents sont directement soumis au prévenu : tracts électoraux – enveloppe d’identification – enveloppe électorale.

Par conséquent, les personnes incarcérées sont bien inscrites sur liste électorale et leur vote est comptabilisé parmi les chiffres centraux du taux de participation à une élection. 

Cf : Le décret n°2019-223 du 23 mars 2019 pris pour l’application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, article 112.  

Un but à ce droit de vote : favoriser la réinsertion dans la société 

Le droit de vote et le droit électoral (d’être élu), font partie des droits civiques dont leur sanction relève du principe de l’individualisation des peines, considéré en France d’ordre public (principe à valeur constitutionnelle). Suite à la pratique, le vote par correspondance suscite beaucoup de suspicion car il faut faire respecter les mêmes droits qu’à un individu libre, donc d’assurer qu’aucune pression n’ait eu lieu sur ce vote et comment l’assurer dans des conditions satisfaisantes. 

La procuration a connu une évolution en 2022 : le mandant et mandataire disparait pour les scrutins présidentiels et législatifs de 2022, ayant pour conséquence que les prévenus pourront être sur des listes différentes de la commune pénitentiaire : ne dépend plus de ses pairs et de leur lieu d’habitation pour voter. Une autre mesure pour faciliter le droit de vote a été mis en place par une Circulaire de février / Mars 2021 pour le vote aux élections départementales et régionales de juin prenant acte que le vote de correspondance devient la règle (non plus la permission de sortir, trop souvent refusée). 

L’expérimentation de ces dernières années, notamment sous la présidence d’Emmanuel Macron, montre une vision plus amène à assouplir les conditions permettant l’accès au vote, afin de palier le taux d’abstention, montrant dans un second temps une volonté de ne plus exclure totalement le détenu de la vie en société : sa voix compte et on essaie de l’entendre dans de meilleures conditions. La procuration rencontrait souvent beaucoup de difficulté car les votes n’étaient pas soumis à un isoloir et ne sont pas anonymes : des pressions pouvaient avoir lieu.  

Des associations comme l’Observatoire International Pénitentiaire (OIP) considèrent que ce ne sont pas des dispositifs suffisants et qu’il faudrait aller plus loin. Les limites sont nombreuses comme le fait d’avoir une carte d’identité à jour (un agent de la préfecture doit venir en prison pour refaire les papiers officiels). Aux élections européennes de 2019, seulement 9 500 personnes ont voulu voter par correspondance, mais uniquement 4 300 détenus ont pu le faire. Recensé par la préfecture, c’est souvent une procédure longue, avec des conditions de délais trop courts, beaucoup échouent simplement par une attente de demande trop longue. Les enjeux sont finalement multiples :  faire déplacer un agent – prévoir du matériel spécial – prévoir suffisamment à l’avance : entre quatre et dix jours avant les ouvertures de vote. L’enjeu pour ces élections serait également de remédier à un problème plus profond. Nous avons choisi de les faire participer à cette partie importante du devoir, mais citoyens, mais nous ne permettons pas encore de pouvoir le faire de façon éclairée. En effet, aucun débat politique en pénitencier n’est organisé (du moins aucune recommandation – obligation) – pas de bureau de vote en prison constitué d’isoloir / urne, ayant pour conséquence aucune d’individualisation du vote. 

La France a pris le chemin vers des libertés fondamentales sur le droit de vote des détenus sur le plan théorique, mais il reste encore la pratique. 

Regards croisés :

Afin de mieux comprendre les enjeux, qu’en est-il de nos pays voisins sur ce droit, notamment sur le droit de l’Union européenne et international ? 

Le Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques prévoit la participation aux citoyens à la vie publique est le fondement d’une société libre et démocratique. Cette conception de la peine est pourtant propre à chaque pays, qui en fait une identité. Il y a donc une grande liberté d’appréciation pour chaque pays sur ces droits.

Pour le droit européen, la Convention européenne des droits de l’homme en son article 3 du Protocole n°1 sur le droit à des élections libres : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. ».

Ce présent article ne couvre pas les élections locales (en France communales) expliquant l’impossibilité du droit de vote pour les détenus lors des élections communales ou régionales (décision Malarde c. France, 2000) et exclut également le droit de vote pour les référendums. [3]

La Cour européenne des droits de l’homme condamne cependant des pays qui suspendent automatiquement le droit de vote des personnes condamnées et détenues, eu égard de condition de poursuite des objectifs légitimes et proportionnés. 

Le Conseil de l’Europe rappelle que sur 43 états en 2012, 19 ne restreignaient nullement le droit de vote des détenus, 7 le supprimaient automatiquement (dont le Royaume Uni). Pendant longtemps, au Royaume Uni il y avait une privation à vie des personnes détenus (notion de mort civile). 

Pour comparaison, la Pologne aux législatives de 2011 : 58,7% des personnes incarcérées en capacité de voter ont participé aux élections législatives. En France, nous sommes encore à 8%. 

De grandes puissances interdisent totalement ce droit de vote, comme les États-Unis (à part quelques exceptions selon les États) la majorité l’interdisent. 

D’autres pays, comme le Danemark ou la Pologne, ont fait le choix de l’inclusion et de la protection des droits civiques des personnes incarcérées en installant non pas un dispositif à part de vote par correspondance, mais des bureaux de vote en détention. La France s’y oppose encore, alors qu’elle pourrait adjoindre ce dispositif à celui, fondamental, des permissions de sortir pour favoriser la participation aux scrutins. L’enjeu pour le futur en France, serait donc de mettre en place un système de vote au sein même des services pénitenciers (bureau de vote). C’est déjà le cas dans plusieurs pays, mais cette mesure sollicite un coût élevé. Cela nécessiterait la construction d’urnes, isoloirs, personnels pour compter les voies et enregistrer les votants. Du personnel également pour la mise en place de débats politiques, pouvant aussi avoir pour conséquence des troubles d’ordre sécuritaire. Bien évidemment, ce propos est à mettre en nuance, le Juge de l’application des peines, ayant la faculté de sanctionner un condamné à son droit civique de voter, pour les crimes ou les délits les plus graves, ces enjeux sont donc pour des détenus ne représentant pas une menace pour la démocratie, mais au contraire, montre une volonté positive d’aider les incarcérés à garder une vie sociale active pouvant être considéré comme une aide de réinsertion lors de leur libération. 

Ce débat, peu connu des médias, ne surgit pas pour les élections présidentielles 2022 mais évoluera très probablement suite à celle-ci. Bien que le droit de vote élargit aux mineurs de 16 ans, et aux étrangers pour les élections locales, soient envisagé par les candidats Anne Hidalgo, Jean Luc Mélenchon, aucune des mesures pour le droit de vote des détenus n’est envisagé dans leur programme officiel. 

Écrit par Lucie Villers d’Arbouet.

Poli’Gones a vocation à contribuer au débat public sur les questions d’actualité de la scène internationale. Ses publications n’engagent que leurs auteurs et ne constituent en aucune façon une position officielle de l’association.

[1] Droit de vote des détenus : conditions et procédure – Ooreka.
[2] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. [3]Guide sur l’article 3 du Protocole n° 1 – Droit à des élections libres (coe.int)

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