La fin du silence : Le projet de Loi Confiance

Telle que le rappelle la journaliste Angeline Doudoux, pour plus de 9 Français sur 10, le secret des échanges avec un avocat est au moins aussi important que le secret médical, qu’il soit appliqué dans le cadre du conseil (93 % l’estiment important) ou de la défense (97 %). C’est ce que révèle le baromètre des droits réalisé par l’institut de sondage MRCC pour le barreau de Paris effectué auprès de 1 000 Français et de 607 avocats inscrits au barreau de Paris. 

Toutefois, le projet de loi pour la Confiance dans l’institution judiciaire présenté par le Garde des Sceaux déposé le 14 avril 2021 à l’Assemblée nationale via la procédure accélérée de l’article 45 de la Constitution a pour effet de mettre à mal le secret professionnel des avocats qui, selon les praticiens, est la pierre angulaire du métier d’avocat. En effet, le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi l’a rappelé « pour avoir la confiance de nos clients, il faut qu’ils puissent compter sur notre confidentialité ». Ce texte passé par une commission mixte paritaire puis adopté dans les mêmes termes par les députés et sénateurs les 16 et 18 novembre 2021 avait pour objectif affiché de rétablir la confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire. Ce texte permettrait de faire mieux connaître le fonctionnement de la justice, en renforçant les droits des citoyens à chaque étape de la procédure juridictionnelle tout en redonnant du sens à la peine, mieux préparer la réinsertion du détenu et enfin s’assurer de la qualité de la relation des citoyens avec les partenaires de justice.

Le 17 décembre 2021, le Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, a jugé conforme à la Constitution le projet de loi et il est désormais entériné. Parmi les mesures proposées par ce projet de loi, son article 3 concernait le secret professionnel des avocats auprès de leurs clients. Celui-ci consacre et protège par le biais du code de procédure pénale le secret du conseil, ce qu’il n’était pas avant. Le gouvernement a introduit un amendement lors de la commission mixte paritaire qui visait à introduire des exceptions au secret du conseil de l’avocat pour les infractions, celui-ci ne vaudra pas pour les infractions de fraude fiscale, de corruption ou de blanchiment de ces délits ainsi que le financement du terrorisme. Lors du dépôt de l’amendement gouvernemental à l’Assemblée nationale, Éric Dupond-Moretti déclara « qu’il s’agit d’une avancée incontestable. Mais il faut préciser ici (…) que ce secret du conseil ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle et conventionnelle que celle qui existe pour le secret de la défense. Ce qui explique les trois exceptions pour des infractions limitativement énumérées ». Cet amendement n’avait pas laissé les avocats indifférents qui se sont indignés car selon eux il représente « une remise en cause inacceptable du secret professionnel ». Certains d’être eux sont mêmes inquiets tel que le bâtonnier Me Arnault Chapuis qui déclare qu’ »aujourd’hui c’est sous couvert de la lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale, et demain ce serait pout tout type d’infraction« . Ils ont par la suite engagé une bataille contre cette article 3 en manifestant pour sa suppression. Le conseil national du Barreau s’est même saisi du problème, le 29 octobre 2021 à l’occasion de son assemblée générale a été voté à l’unanimité une proposition de modification de l’article 3 du projet de loi et a également donné mandat au bureau afin de la porter devant le ministre. 

Le 12 novembre, le Garde des Sceaux a répondu au CNB dans une lettre ouverte leur indiquant qu’il rejetait la proposition de réécriture de l’article 3 qu’avait été votée lors de son assemblée générale. Par la même occasion, le Garde de Sceaux a demandé au CNB de choisir entre trois options que sont : un amendement de suppression de l’alinéa 2 de l’article 56-1-2 du Code de procédure pénale sur la levée du secret professionnel en cas de participation involontaire de l’avocat à l’infraction, l’absence d’amendement du gouvernement, ou un amendement de suppression totale de l’article 3. Le 15 novembre 202, à 65% des suffrages exprimés lors de l’assemblée générale, le CNB rappelle sa vive opposition à l’article 3 du projet de loi et demande la suppression pure et simple de cet article. Finalement ce n’est pas la solution retenue par le gouvernement qui garda les dispositions sur les exceptions au secret du conseil et pris un amendement visant à supprimer la levée du secret professionnel en cas de participation involontaire de l’avocat à l’infraction. 

Notons que cette remise en cause du secret professionnel à l’échelle nationale est certes textuellement nouvelle, mais il ne s’agit pas ici du premier coup qui lui est porté. Effectivement, malgré sa consécration législative par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 sur la réforme des professions judiciaires et juridiques au niveau du droit interne, celui-ci ne bénéficie d’aucune valeur constitutionnelle contrairement au droit au respect à la vie privée.  Mais ce n’est pas tout ; dans une décision de 2015 Association French Data Network et autres, le Conseil constitutionnel a jugé « qu’aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes ». S’ajoute à cela l’affaire des écoutes dans laquelle était impliqué l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog où leurs échanges avaient été écoutés et retranscrits. Malgré qu’ils aient soutenu cette illégalité au motif que ces derniers étaient protégés par le secret professionnel, la présidente du tribunal correctionnel ne partagea pas cet avis et indiqua que « si le secret professionnel est une garantie primordiale du procès équitable, il n’est pas intangible » et contourna ce secret en indiquant que les échanges ne relevaient nullement de l’élaboration d’une stratégie de défense ou d’une consultation juridique. Cette décision fût ensuite confirmée par la Cour de cassation. 

Au niveau supranational, ce secret professionnel n’est pas plus protégé. En ce sens, voyons l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 16 juin 2016 dans l’affaire « Versini-Campinchi et Crasnianski » c/ France qui est similaire à l’affaire des écoutes de l’ancien Président de la République. La Cour indiqua qu’il n’y avait pas de violation de l’article 8 et rappela conformément à l’arrêt Michaud c/ France du 6 décembre 2012 que « le secret professionnel des avocats a une grande importance tant pour l’avocat et son client que pour le bon fonctionnement de la justice et qu’il s’agit d’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’organisation de la justice dans une société démocratique, mais il n’est pas pour autant intangible ». Celle-ci ajouta également en 2016 que ces conversations ne peuvent être utilisées contre le client « dans la procédure dont il est l’objet ». En d’autres termes, seul l’avocat peut être poursuivi dans ce cadre, les écoutes couvertes par le secret ne devant pas pénaliser le client. 

Cette dégradation du secret professionnel a conduit à un rapport des commissions droit public et droit pénal de l’UJA de Paris le 22 mars 2021 ; l’UJA de Paris appelle à la constitutionnalisation du secret professionnel de l’avocat, et ce, en toute matière, dans le domaine du conseil et de la défense.

Écrit par Thomas Salez.

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